MES ANNÉES AVEC PIERRE WISSMER ...

par Dominique Fanal

ancien élève de Pierre Wissmer

Chef d 'orchestre

Chef principal du " Sinfonietta de Paris "

Dimanche 22 Octobre 1972.... 17 Heures... Théâtre du Mans... Une foule innombrable se masse sur les marches de notre bon vieux théâtre aujourd'hui tant menacé, en haut desquelles d'immenses affiches annoncent le Concert Symphonique d'ouverture de la Saison Musicale 1972-73 des " Concerts du Mans ". Deux noms en immenses lettres bleues : celui de Mme Hephzibah Menuhin, soeur du grand Yehudi, invitée à jouer le 4è Concerto pour piano de Beethoven, et celui de Pierre Wissmer, qui dirigeait le concert. On annonçait aussi Honegger, Mozart et Wagner .... J'avais entendu parler de Pierre Wissmer, je savais qu'il était compositeur, j'avais appris qu'il avait de grosses responsabilités sur Paris et Genève, et il était depuis quatre ans le Directeur du Conservatoire du Mans. Et puis, son nom figurait dans les colonnes de Telerama... Disons qu'il était souvent diffusé sur France-Musique ... Des titres revenaient régulièrement sur les ondes. Dans ces années 1970, c'étaient le Concerto Valcrosiano, la 5è Symphonie, Stèle, la Suite de ballet de Christina et les Chimères ...

J'avais appris que ce compositeur était devenu vaguement manceau, j'avais écouté, j'avais été surpris, j'avais aimé. J'avais seize ans à l'époque, je préparais mon baccalauréat, et, après avoir travaillé des années ( sérieusement , mais sans forcément grand enthousiasme ) le piano, un ami de lycée me " traînait " ( presque par force ) à mon premier grand concert symphonique.... Ce fut le choc : je me souviens encore de la haute silhouette longiligne de Pierre Wissmer ( ému et visiblement apeuré ) arriver sur scène ( plus tard, je m'apercevrai qu'en fait il n'était pas si grand que cela ), et je vois toujours ses longs bras se déployer comme les ailes d'un aigle, activer et conduire cette litanie répétitive, torpide - comme harassée de soleil et de chaleur - des violoncelles et des basses, qui ouvre la Pastorale d'Eté de son compatriote Arthur Honegger. Oui, ce fut le choc. Ce furent là deux heure d'intense émotion : Pierre Wissmer, qui ne se prétendait pas chef d'orchestre, était un fin musicien : un Honegger de race, un Beethoven impérieux, un Mozart fin et solaire, un Wagner noble et large m'avaient cloué sur mon siège. Ce 22 Octobre 1972, mon choix était fait - je serai chef d'orchestre ! Ce fut là, de loin, mon premier contact réel, de visu et de auditu, avec Pierre Wissmer.

Belle époque tout de même, soit dit en passant, que ces années-là (nous parlons bien des décennies 1970-1990) où Le Mans avait son orchestre symphonique, sa saison lyrique et son théâtre, où la famille Menuhin visitait les provinces, où France-Musique, loin de réduire la musique française contemporaine ( comme trop souvent de nos jours ) au triumvirat Messiaen-Boulez-Dutilleux, faisait entendre tous les grands symphonistes de l'époque : Sauguet, Tomasi, Jolivet, Chaynes, Nigg, Barraud, Rivier, Wissmer, Tansman, Mihalovici, Daniel-Lesur, Hasquenoph, Werner, Tcherepnine, Loucheur, Tisné... et tant d'autres ! J'attendis d'avoir mon baccalauréat.... l'esprit fort occupé par d'autres lubies. En classe d'hypo khâgne depuis quelques jours, je rendis visite à Pierre Wissmer au conservatoire. Je tombai sur un homme fort différent de celui, raidi et cintré dans son frac, que j'avais observé et analysé sur scène quelques mois auparavant. Chemise blanche et cravate, il avait un gros pull-over de laine rouge à boutons dorés, ce pull dont tous ses élèves se souviennent encore ! ( j'apprendrai plus tard - bien plus tard -, que c'était son épouse Marie-Anne qui le lui avait tricoté ), et, aux lèvres, un de ces bouts de mégot dont les dernières cendres s'épuisaient... J'avais été fort impressionné : il venait de congédier une mère d'élève fort bruyante, dont la voix - avait-il précisé de son ton moqueur et faussement calme - lui avait causé un fort mal de tête... Mon tour arrivé, son regard changea : d'un bleu d'acier, mais d'une lueur d'intelligence et de perspicacité rare, avec ce quelque chose de mystérieux et de profondément humain.... Il m'accueillit sans me connaître, m'écouta, me parla - partition en main - du Concerto pour violoncelle de Khatchaturian qu'il allait diriger quelques semaines plus tard avec le grand Navarra ( le Directeur du Conservatoire dirigeant alors le premier concert de chaque nouvelle saison symphonique ), et devait terminer notre entretien ainsi : " vous savez, mon petit, pour être chef d'orchestre, il ne suffit pas seulement d'avoir un bon coiffeur ou un bon tailleur, il faut travailler - alors, rendez-vous lundi prochain, et nous verrons : peut-être serez vous un bon compositeur, un chef d'orchestre doué, peut-être serez-vous les deux, peut-être ne serez-vous ni l'un ni l'autre " ... J'étais servi !.... Ce jour-là commencèrent mes sept années d'apprentissage auprès de Pierre Wissmer ( jusqu'à ce que, l'âge de le retraite venu, il dût quitter Le Mans ) : sept années intenses et inoubliables ! Le contrepoint d'abord, puis l'orchestration et un peu de fugue, et puis, avant tout, la Musique telle qu'en elle-même, la Musique d'abord et toujours, et souvent de la manière la plus concrète qui soit. Mais il parlait aussi de compétitions automobiles, de rallyes, de voitures de sport, de ski alpin et de ski nautique, de lecture, de peinture et de sculpture. Il parlait beaucoup de l'Italie et de son amour pour ce pays, des abbayes baroques suisses et autrichiennes, de Melk, de Saint-Florian et de St-Gall, de l'art d'agrémenter une pizza ou des spaghetti , et des bons vins cisalpins... Mais il ne parlait jamais de politique, encore moins de philosophie - et jamais de Dieu : tout cela lui faisait peur, l'épicurien et l'apollinien qu'il était redoutaient la mort et fuyaient les mystères.... Chaque cours était une révélation : nous commençâmes par le contrepoint à deux voix - note contre note, ronde contre ronde - auquel succédèrent les " grands mélanges ", les "fleuris ", les grands doubles choeurs, le plus souvent dans le cadre de l'école la plus austère qui soit : celle de la musique modale... " Qui peut le plus peut le moins " disait-il, ajoutant toujours : " De la Rigueur seule peut naître la Liberté ". Il jouait nos essais au piano, corrigeait, raturait, gommait, et, parfois, s'apercevant qu'il ne nous avait pas déchiffrés dans la bonne clé, essayait de revenir à notre solution première. Lorsqu'un contrepoint à quatre, six ou huit voix, réglé et rigoureux comme un Palestrina, lui semblait réussi, il nous demandait d'en rédiger des partititions séparées pour les cordes, en quelques heures, et, le soir, il le faisait lire, lui-même au pupitre, par la classe d'orchestre du conservatoire. " C'est beau comme du Hindemith " disait-il... Cela dura des années. Lorsque les doubles choeurs et autres polyphonies à huit voix n'eurent plus de secrets pour nous ( il faut dire que nous étions très peu nombreux à ces cours - il appelait cela les " disciplines de luxe " ! ), nous abordions l'orchestration : une année de symphonique, une année de lyrique, une année de concerto. Il nous fallait réécrire pour le grand orchestre symphonique des partitions composées ( ou parfois réduites ) pour le piano : Préludes de Debussy, Pièces Pittores­ ques de Chabrier, Iberia d'Albeniz.... Quand nous avions, après mille doutes, instrumenté Les Collines d'Anacapri ou Minstrels du premier, le Scherzo-Valse du second, ou Triana du troisième, nous devions alors retrouver ( à partir d'une réduction réalisée après coup ), et dans le style propre à l'auteur, une orchestration idéale de tel " tutti " d'un Concerto pour piano de Mozart, de telle scène d'opéra de Glinka, Tchaïkowsky ou Rimsky-Korsakov. Evidemment, ses sources et ses modèles demeuraient Mozart, les Italiens ( avec une vénération spéciale pour les derniers Verdi - Falstaff  et  Othello en tête -, Puccini, et les flamboyantes orchestrations d'Ottorino Respighi ), et bien-sûr les grands Russes : nous étudions les pourquoi et les comment de l'introduction de la Symphonie Pathétique, de L'Oiseau de Feu, comparions Les Tableaux d'une Exposition de Moussorgsky et ceux de Ravel, ou les diverses orchestrations de Boris Godounov - celle de Moussorgsky, celle de Rimsky, celle de Chostakovitch.... Néanmoins, en cette petite classe située dans le " colombier " du conservatoire ( tout en haut de l'escalier en colimaçon de la tour de cet ancien et historique Hôtel d'Arcy, au coeur du Vieux-Mans ), ce sont deux partitions tout à fait autres qu'il avait sur le pupitre de son modeste piano Sauter : celles de ballets de Delannoy et Delvincourt, et celle du Concerto Grosso - avec quatuor à cordes solo - d'Ernest Bloch. Tout un programme ....

Oui, cela dura des années. Je restai seul avec lui, en 1979, pour étudier les prémices de la fugue....Je n'aurais pu me douter - lors de ma première rencontre avec Pierre Wissmer -, que grâce à lui, j'allais faire mes premiers pas, dès 1976, par l'entremise de son fidèle ami André Girard, dans le domaine de la Direction d'Orchestre. J'ignorais que, dès 1986, j'allais devenir l'un des habitués des étés de Valcros ( dans ce hameau du maquis toulonnais où les Wissmer possédaient une maison de berger provençale ), et que, en 1999, un peu plus de vingt cinq ans après cette première conversation avec Pierre Wissmer , le 11 Janvier précisément, jour de mon anniversaire, à Walbrzych, en Pologne, au pupitre de la Philharmonie des Sudètes, je lèverais la baguette, débutant là l'enregistrement le plus cher qui me soit : celui des dernières Symphonies de Pierre Wissmer , dont cette 5è " dense et magnifique " ( aux dires mêmes de Mildred Clary ), que j'avais tant aimée et admirée sur les ondes de France Musique.

Je me félicite de toujours avoir eu, tant dans mon cursus scolaire - à l'école primaire, au collège, au lycée, à l'université - que dans le cadre de mon apprentissage musical, de véritables Maîtres.

Comme je l'ai déjà dit et écrit par ailleurs, contrairement à ce début de XXIè siècle - où fleurissent les petits maîtres et où tout le monde se dit disciple de tout le monde - il y avait à l'époque des professeurs marquants, qui vous habitaient, qui vous incitaient à l'écoute et à l'attention, car ils savaient de quoi ils parlaient. Alors que, aujourd'hui, quelque stupide émission de télévision met en valeur tel professeur de chant n'ayant jamais chanté et tel chorégraphe n'ayant probablement jamais dansé, à une époque où prolifèrent des professeurs de chant ou de piano qui n'ont aucune idée de ce qu'est une scène ( et encore moins de ce que signifie " monter dessus " !... ),

alors que certains jurys de concours internationaux sont occupés par des professeurs qui ont passé leur vie à enseigner ce qu'ils n'ont jamais su faire eux-mêmes, les professeurs d'alors étaient de grands artistes, qui avaient fait leur preuve : et aucun d'entre eux n'avait écrit de livre, à vingt cinq ans, pour évoquer ses aventures amoureuses ou sa passion pour les loups ou la pêche à la ligne. Les grands professeurs de piano s'appelaient Pierre Barbizet , Monique Haas, France Clidat , Annie d' Arco , Bruno Rigutto , Eric Heidsieck ....

Les grands professeurs de violoncelle étaient ceux qui, en France, avaient créé les Concertos de Khatchaturian , de Jolivet ou de Landowski. Pierre Wissmer , rappelons-le, avait été chargé de l'enseignement de l'orchestration à l'Exposition de Montréal, et il enseignait orchestration et composition aussi au Conservatoire de Genève - celui-là même qui l'avait en partie formé - ainsi qu'à la Schola Cantorum de Paris ( institution alors prestigieuse ) et au Mans : mais Pierre Wissmer n'était pas l'auteur de quelques pièces de concours frileuses, ni l'arrangeur d'un bouquet de chansonnettes ! Il était déjà le compositeur fêté et reconnu de six, sept, huit symphonies, d'oratorios ( dont Le Quatrième Mage, si vénéré par Ansermet ), de concertos de solistes pour quasiment tous les instruments ( et interprétés par les solistes majeurs de l'époque, les Boukoff , Delmotte , Vandeville , Jodry ... ), de ballets ( dont ce torride Christina et les Chimères, vainqueur d'un fameux concours de ballets new-yorkais ), d'opéras, tous dirigés par nos Ernest Ansermet, Pierre Dervaux , Manuel Rosenthal , André Girard....

Ses cours étaient toujours émaillés d'exemples, parfois des plus croustillants, mais toujours fondés sur des remarques et des observations autant concrètes que pertinentes : pourquoi tel accent sur cette note à la flûte et pas au hautbois, pourquoi cette doublure ici et non là, pourquoi cette clarinette dans le grave et ce basson haut perché et non l'inverse, pourquoi telle sourdine à tel endroit, pourquoi cette note commune à deux instruments précis et non à d'autres, pourquoi ce rythme de percussions tellement différent des rythmes du tutti général, pourquoi telle harmonique de contrebasses, pourquoi ( chez Tchaikowsky par exemple ) ces coups d'archets traversant et ignorant les barres de mesures ?... et tant d'autres sujets de débats et d'interrogations. Et, bien-sûr , à la fin des cours, la conversation se poursuivait, toujours riche - souvent en rapport avec les concerts entendus au Mans le dimanche précédent. Tel pianiste aurait donc joué les Variations de César Franck peut-être de manière trop romantique... Pourquoi ? N'était-ce pas plutôt trop héroïque ?...

Tel déferlement orchestral de la Fantastique serait du cache-misère et de la poudre aux yeux ! Pourquoi ? Comment cela ? Et des fausses basses chez Berlioz ? pourquoi ? à quel endroit ? les
géniales maladresses de Moussorgsky ou de Sibélius ? comment cela des maladresses ? les facilités et les vulgarités de Mahler... Tout était sujet à controverse, à conversations débridées et passionnées. Cela, irrémédiablement, se terminait autour d'une pizza au restaurant italien du coin... Et l'on parlait d'Italie, l'on dissertait sur Véronèse ou Piero della Francesca, Florence et Respighi, l'on évoquait Le Prisonnier et l' Ulysse de Dalapiccola, une digressionen amenait une autre, une anecdote nous conduisait à une autre plus savoureuse encore, la Pizza Napolitaine commandée par l'un d'entre nous nous valait alors un cours sans autre pareil sur la sixte napolitaine, ses effets et ses
causes et ses fonctions, et - l'esprit un peu embrumé par le Chianti - Pierre Wissmer évoquait, sur le chemin du retour vers le conservatoire, sa passion pour la côte amalfitaine, pour les Alfa-Roméo et les nouvelles Lancia Bêta ( la sienne était rouge et somptueuse ) et, bien-sûr, les glaces Rhum-raisin. qu'il se refusait à appeler Malaga, puisque Malaga n'était pas une ville italienne ! Parfois, d'autres musiciens de la ville ou du conservatoire nous rejoignaient : le fidèle Pierre Uga, autre disciple de Pierre Wissmer ( et notre premier professeur d'harmonie ), l'organiste de la cathédrale, Marie-José
Chasseguet, ou encore l'autre organiste de la place - qui allait lui succéder comme Directeur Gérard Letellier

Pierre Wissmer aimait ses étudiants : il était toujours présent, disponible, prêt à les recevoir, sans limite de temps, prêt à répondre à toute question, à résoudre toute forme de problème ( musical ou autre )...

C'est bien plus tard, déjà chef d'orchestre, et responsable notamment du " Sinfonietta de Paris " ( Pierre Wissmer avait alors quitté ses fonctions - et au Mans, et à la Schola, et à Genève ) que je devins un habitué des étés à Valcros, dans l'arrière-pays toulonnais : se retrouvaient là également, régulièrement, le guitariste Philippe Rayer, le duo italien Bocchino-Ghidoni, les Boukoff, Pierre Uga, tous les fidèles ! Nous évoquerons rapidement la tragédie des dernières années : le compositeur affaibli par l'âge, son épouse Marie-Anne rongée par un mal sournois mais irrémédiable, c'est là que, lors des dernières vacances, en 1989, 1990, 1991, tous ensemble, nous avons revu, corrigé ( en essayant de réécrire certains passages qui avaient échappé à une plume et un esprit hélas devenus défaillants ) les dernières oeuvres de Pierre ( Marie-Anne Wissmer en tête, infatigable gardienne de l'oeuvre... ) : le superbe et énigmatique 3è Concerto pour violon, les mystérieux trous noirs de la 9è Symphonie, une belle ultime page pour cordes ( aujourd'hui encore inachevée et donc inédite ), les dernières pièces pour guitare...

Je n'évoquerai pas les dernières visions que j'eus de Pierre Wissmer. Son esprit était déjà si loin de nous, et de lui-même.

Mais je finirai par contre en évoquant de nouveau deux ou trois oeuvres majeures de sa produc­tion - sorte de quadrature du cercle si je puis dire, puisque ce sont les pages ( " denses et magnifiques " disait-on bien, alors, sur les ondes ) qui me révélèrent la première fois le nom de Pierre Wissmer alors que j'étais à l'écoute des programmes de France-Musique ( Midred Clary, Pierrette Germain, Georges Boyer, le brillant et regretté Philippe Caloni également avaient diffusé plusieurs fois ces ouvrages ), et que ce sont à ce jour les dernières mesures de Wissmer que j'eus l'honneur d'enre­gistrer pour le disque : je veux parler de cette 5è Symphonie formidable ( au sens étymologique du terme ), que Georges Tzipine avait créée avec un tel succès à la Maison de l'ORTF de l'époque ( il faut entendre les applaudissements passionnels du public... à une époque où l'on n'applaudissait pas n'importe quoi ) - oeuvre ardente, impérieuse, insolente, au premier mouvement coulé d'un seul bloc, trépignant, tour à tour rythmique et mélodique mais toujours brûlant et autoritaire, au second mouvement intensément polypho­nique et hautain, au scherzo burlesque et sériel tout en même temps, au final tourmenté mais triom­phant -, de ce Concerto Valcrosiano, véritable concerto pour orchestre à l'égal de ceux de Kodaly ou Lutoslawski, où les instruments, employés pour leurs qualités de couleur et de timbre, chantent comme des voix humaines, de la Suite de Christina et les Chimères - musique déjà de son temps, brillante et vivante comme toute musique de ballet, vibrant hommage à toute cette école qui va deRoussel ou Poulenc à Auric, Sauguet et Delerue - ou enfin de ce 3è Concerto de piano qui ( à mi-chemin - dans tous les sens de cette acception - entre ceux du révolutionnaire Jolivet et du visionnaire Lutoslawski ) demeure un des plus originaux, des plus forts, des plus construits, de cette seconde moitié du siècle passé ! Deux anecdotes, vécues en direct, termineront cette évocation, et en diront long sur l'importance de l'ouvrage.

L'oeuvre fut créée le 10 Décembre 1974, dans le grand auditorium de la Maison de la Radio. J'avais dix-huit ans. J'étais étudiant, et j'avais fait le dépla­cement, accompagné par mon père, pour assister à cette première. C'étaient les funérailles de l'ORTF, celles du National et du Philharmonique d'alors, la fin de l'Orchestre de Chambre d'André Girard et de l'Orchestre Lyrique de Pierre-Michel Le Conte. L'ORTF se mourait, et allait laisser la place à Radio-France. C'était la grève générale. Situation bloquée. Les orchestres refusaient de jouer. Mais, " ne pouvant faire cela à Pierre Wissmer ", les instrumentistes de feu l'Orchestre Philharmonique de l'ORTF ( peut-être plus visionnaires à l'époque que ceux d'aujourd'hui ) acceptèrent exceptionnellement, dans une atmosphère de crainte, de doute, de désespoir et de désarroi, mais en toute conscience de la tâche à accomplir, de reprendre - pour l'occasion - du service : et c'est ainsi que, pour Pierre Wissmer et son concerto, eut lieu, à Paris, avec le virtuose Youri Boukoff, sous la direction de Kazuhiro Koizumi, ce 10 Décembre 1974, l'un des derniers ( le dernier peut-être ) concerts de l'Orchestre Philharmonique de l'ORTF. Quelques minutes avant l'ouverture des portes, à deux mètres de nous, deux célébrités de l'ORTF devisaient dans un café de l'Avenue de Versailles : " grand moment ce soir ! j'suis curieux, j'attends cela avec impatience : en général, Boukoff est difficile, il ne joue pas n 'importe quoi ".

Dominique Fanal ( 7 Décembre 2003 ) 

MUSICORA 2012 - ACTION MUSICALE Pierre WISSMER

 

Directeur de la publication : A.D.O.R.A.M.U.S - Septembre 2012 -